CORONAVIRUS: UN CAS DE FORCE MAJEURE EN DROIT SUISSE ?
5 mars 2020 By Laura Azaria, Baptiste RigaudeauCet article est également disponible en anglais et en allemand.
INTRODUCTION
Alors que l’épidémie de coronavirus continue de se propager en Europe, les entreprises tentent d’évaluer son impact sur leurs ressources humaines et leurs relations commerciales avec les opérateurs économiques situés dans les régions les plus touchées. L’impact de cette épidémie est d’autant plus important en Suisse que les entreprises suisses ont traditionnellement établi de solides relations avec l’Asie, et la République populaire de Chine (RPC) en particulier. La signature par la Suisse d’un protocole d’accord avec la RPC, le 29 avril 2019, visant à renforcer la collaboration entre les deux pays concernant les projets inclus dans l’initiative « Belt and Road » – cet effort mondial de développement et d’investissement mené par la RPC pour recréer l’ancienne route de la soie – en est un excellent exemple[1].
De nombreux États et entreprises ont pris des mesures drastiques pour contenir la propagation rapide de l’épidémie. Les mesures de confinement et de quarantaine correspondantes touchent les opérateurs économiques du monde entier[2]. Ils rencontreront, dans de nombreux cas, des difficultés à exécuter des contrats existants, en raison de l’indisponibilité de la main-d’œuvre, de la perturbation des réseaux de distribution ou encore de l’annulation de commandes. La question est de savoir si une telle épidémie et/ou les mesures gouvernementales pour y faire face pourraient, dans certaines circonstances, constituer un motif valable de non-exécution contractuelle en vertu de la doctrine de la force majeure. Les parties contractantes engagées dans des activités économiques qui pourraient être affectées par l’actuelle épidémie de coronavirus devront évaluer si leur contrat aborde explicitement ou implicitement l’hypothèse d’un cas de force majeure et, le cas échéant, s’il couvre les conséquences du coronavirus. Elles devront examiner attentivement les clauses de droit applicable afin de déterminer en vertu de quel droit leurs obligations contractuelles, y compris toute clause de force majeure, seront interprétées. Vu l’important nombre de transactions transfrontalières et de contrats internationaux régis, par accord des parties, par le droit suisse, ce dernier est d’une importance capitale face aux multiples interrogations des opérateurs économiques.
Voici nos quatre recommandations-clé, en vertu du droit suisse, pour se prémunir contre cette épidémie et ses conséquences:
1.RECOMMANDATION N°1 : VERIFIEZ L’EXISTENCE D’UNE CLAUSE DE FORCE MAJEURE DANS LE CONTRAT
De nombreuses clauses contractuelles de force majeure comprennent une liste exemplative d’événements qualifiés deforce majeure. Toutefois, par expérience, les clauses deforce majeure incluent rarement des événements épidémiques.
Si les cas d’épidémie ne sont pas explicitement mentionnés dans la clause deforce majeure, ou traités d’une autre manière par le contrat, les parties devraient analyser s’ils tombent sous le champ d’application de la définition générale d’événement deforce majeure (prévue par la clause deforce majeure) ou sous une autre catégorie de circonstances spécifiquement mentionnées. Même si un contrat ne mentionne pas les cas épidémiques, les mesures d’urgence visant à y faire face ou à la contenir sont parfois énumérées ou couvertes par des termes génériques tels que « troubles à l’ordre public », « mesures de quarantaine », « fermeture complète d’un territoire », ou « décrets gouvernementaux ».
2. RECOMMANDATION N°2 : VERIFIEZ LA NOTION SUISSE DE FORCE MAJEURE
En droit suisse, le débiteur peut être exonéré de sa responsabilité en cas d’inexécution s’il peut prouver l’absence de faute de sa part. Cette exonération est donnée lorsque l’exécution de l’obligation contractuelle du débiteur devient « objectivement » impossible en raison de circonstances qui ne lui sont pas imputables.
En bref, selon le droit suisse, une épidémie comme celle du coronavirus, malgré son taux de mortalité éventuellement plus élevé, ne constitue pas encore nécessairement une impossibilité objective. Une impossibilité objective exige que soit atteint un pan entier de l’économie ou tous les opérateurs d’une même catégorie. Cela dit, si une telle épidémie devait conduire les autorités étatiques à prononcer des interdictions ayant un impact direct sur l’exécution d’un contrat par un opérateur (ou une catégorie définie d’opérateurs), il sera judicieux d’effectuer une analyse plus approfondie afin de déterminer si l’existence d’une impossibilité objective d’exécution est réalisée.
3. RECOMMANDATION N°3 : DOCUMENTEZ VOS PROBLEMES D’EXECUTION LIES AU CORONAVIRUS
En principe, les parties à un contrat régi par le droit suisse doivent continuer à exécuter leurs obligations même si l’exécution devient plus difficile ou plus onéreuse à cause de l’épidémie. De même, elles sont en droit d’attendre que les autres parties au contrat exécutent également leurs obligations.
Toutefois, même en l’absence d’un cas de force majeure affectant un pan entier de l’économie ou une catégorie définie d’opérateurs, l’impossibilité « subjective » pour un opérateur économique d’exécuter un contrat à cause d’une épidémie pourrait ne pas être sanctionnée par des dommages et intérêts en l’absence de faute de sa part. Cela dépendra des termes et de la nature du contrat.
Ainsi, les parties touchées par des restrictions d’activités liées au coronavirus devraient s’assurer de bien documenter leur incapacité à exécuter leurs obligations et de dûment communiquer avec leur(s) partenaire(s) contractuel(s) si l’exécution de leurs obligations devient impossible, même temporairement. En l’absence d’un cas de force majeure, ils pourraient se prévaloir de leur incapacité non fautive à exécuter leurs obligations pour s’exonérer de leur responsabilité en cas d’inexécution.
4. RECOMMANDATION N°4 : VERIFIEZ LES CONSEQUENCES DE LA CLAUSE DE FORCE MAJEURE
Les conséquences d’un
événement deforce majeure dépendront des négociations ayant donné lieu
au contrat en question. Selon le droit suisse, en cas de force majeure et sauf stipulation
contraire du contrat, les deux parties seraient immédiatement libérées de leurs
obligations respectives. Toutefois, dans les contrats internationaux de longue
durée, laforce majeure a généralement un effet suspensif, du moins dans
un premier temps. En effet, de nombreuses clauses de force majeure stipulent
que le droit de résiliation ne peut être exercé que si l’exécution reste
impossible à l’issue d’un délai déterminé. Ces clauses deforce majeure
suspendent généralement l’exécution des obligations des deux parties. C’est une
solution radicale face à une situation exceptionnelle.
[1] http://country.eiu.com/article.aspx?articleid=1087995092
[2] En Suisse, voir par exemple: https://www.rts.ch/info/suisse/11127134-dizaines-d-evenements-touches-par-l-interdiction-des-manifestations-de-plus-de-1000-personnes.html